Date : 03/04/2003
Source : L'Equipe

Capitaine flegme


Bruno Carotti, le défenseur franco-espagnol, est prêt à jouer en L2 s'il le faut avec le club héraultais.

Message : "Votre fils, il ne sera bon qu'à brouter l'herbe." Envoyé par un ancien éducateur de Montpellier dans l'oreille de Mariano Carotti, le père de Bruno, quand il était encore un ado aspirant à devenir pro. Comme quoi...
Trois cent six matchs de L1 plus tard, Carotti, pas rancunier, est revenu aux sources, à Montpellier, où il serra les dents pour percer, et où maintenant il veut vivre tranquillement. Il va faire pousser une maison dans la quiétude du golfe dui Lion. Et si Montpellier venait à descendre en L2, lui qui n'y a jamais goûté, ne s'enfuirait pas : "Ici ça ne me gênerait pas."
Le capitaine héraultais, trente ans, sourit à l'évocation des bruits rapportés de Majorque, son île natale. Un musée du Sport est en gestation. Comme l'ancien Barcelonais Nadal et lui sont les deux seuls footballeurs des Baléares de haut niveau, ils y seront honorés. Du coup, son nom circule du côté du Real Majorque, pensionnaire de la Liga. Carotti reste de marbre. La Liga, il y a déjà songé. Il a la double nationalité franco-espagnole, parle la langue de Cervantès, mais rien de concret ne s'est jamais présenté.
Son père est majorquin d'ascendance italienne, sa mère, parisienne. Né dans le havre de pêcheurs de Puerto Pollensa, au nord de la grande île de l'archipel, il coupe son enfance en deux. La scolarité et le foot à Clamart, d'abord, les matchs de jeunes à Saint-Ouen, l'ambiance du Parc, la fibre parisienne. Les Baléares, des vacances dans un coin de paradis avant le tourisme de masse, des parties de ballon avec les clients de l'hôtel de son père, une culture cousine des Catalans.
Où a-t-il apprivoisé le ballon ? "Dans la cour d'école, dans la rue, à Clamart ou avec les copains. J'ai toujours préféré la technique au physique." Régis Durand, son premier entraîneur en cadets à Montpellier, confirme. "Il venait de Versailles, donc c'était doucement le matin, et il est espagnol, donc pas trop vite le soir. Physiquement, il avait parfois du mal, ne finissait pas toujours les matches, il était plutôt technique et un peu nonchalant, posé, gentil, réfléchi. On le comparait à Laurent Blanc."

Marqué par Suaudeau et M. Gallagher

C'est Robert Vico qui l'avait repéré en sélection des Yvelines, alors qu'il était en sport-études à Versailles, en minimes. "C'est donc le meilleur match de ma vie. Un dimanche à 9 heures du matin, par 10° C, il pleuvait, je jouais 10, on avait gagné 11-0 et j'ai eu de la chance. J'ai sauté sur la première ouverture concrète." Montpellier le forme mais le rejette à dix-huit ans pour manque de "coffre". Il tente alors les "sciences éco" puis le droit à la fac, durant six mois, avant de se cramponner au foot. Sous licence amateurs, il est titularisé quatre mois plus tard à Monaco, en fin de saison 1991-1992. Gili arrive et son oeil l'escorte vers les pros. "C'est le métier. Tu passes vite de pas forcément désiré à révélation."
Sept mille francs (1070 euros) par mois au départ, hors primes. La suite, c'est une ligne de conduite réaliste suivie par Jeannot Werth. Ce désinvolte n'a jamais cherché à tenter le diable. Toujours "le choix de jouer, de progresser dans un environnement favorable, d'être le plus régulier possible."
Bourrier le convoque en Espoirs en février 1993. Fin milieu défensif, il côtoie Zidane, Dugarry, Thuram. Il poursuit en A'. L'Euro 96 n'était pas loin. "Mais, au milieu, des joueurs avaient un potentiel au-dessus du mien." Des personnages ont marqué une enrichissante escale à Nantes (1995-1998). Suaudeau notamment, "perfectionniste, expert des mouvements et des déplacements". Et l'Anglais M. Gallagher, arbitre de Juventus-Nantes, en demi-finale aller de Ligue des Champions 1996. Carotti prend deux jaunes avant la mi-temps. Sur le second "Padovano se fait un croc-en-jambe tout seul, tombe et se tord de douleur. Je croyais que le jaune était pour lui, mais non."
Puis il file à Paris (1998-janv. 2000). Pour des raisons affectives, après avoir hésité avec Lens. Paris, une litanie de petits et gros malheurs. "Ca ne devait pas marcher." Trois entraîneurs en moins d'un an, une expulsion dès son premier match, des blessures en pagaille et un drame sur lequel il n'a pas besoin de s'épancher : la disparition brutale de son fils de deux ans. "Le foot a alors été une bonne psychanalyse." Il s'échappe alors à Saint-Etienne puis à Toulouse.
Rentré au bercail en 2001, il a gagné en assurance et en sérénité. Et, s'il ne se sent pas irréprochable cette saison, il est un exemple pour la farandole de jeunes. "C'est quelqu'un de bien, de juste, qui n'a pas besoin de hausser la voix pour qu'on l'écoute", dit Moullec. Le spectre de la relégation ? "Il reste sept matchs, tout est possible. On verra plus clair après les deux prochains (à Sedan et contre Sochaux). On est à l'état brut, il nous faut conjuguer insouciance et rigueur."
Carotti, lui, a tracé son sillon en étant davantage empreint d'humilité et de simplicité que poussé par l'orgueil ou dévoré de rêves de gloire. De toute façon, dit-il, "si je n'avais que des qualités, je ne serais dans doute pas là".